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Zao Wou-Ki, un lien entre deux mondes

Zao Wou-Ki : un lien entre deux mondes

Zao Wou-Ki lors de la remise de son épée d’académicien à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 2003.

Photo Dennis Bouchard

Peut-être est-ce aux couleurs et à la lumière de la Provence que l’on doit l’une des plus belles toiles de Zao Wou-Ki, l’Hommage à Cézanne. Grand peintre abstrait, artisan d’une peinture faite de traits de lumière et de zones d’ombre, synthèse d’Extrême-Orient et d’Occident, Zao Wou-Ki a longtemps résidé en France et a même acquis la nationalité française en 1964. Né en Chine en 1920 et mort en Suisse en 2013, c’est pourtant à la France que cet artiste franco-chinois doit une part de sa reconnaissance et l’affirmation de son art.

Une longue vie cosmopolite, comme celle de nombreux artistes, est celle qui attend Zao Wou-Ki lorsqu’il naît à Pékin, mais c’est à Shanghai qu’il passe son enfance dans une famille aimante, aisée et intellectuelle. Dès l’âge de dix ans, il dessine et peint, sous le regard attentionné de ses proches. Il apprend même, grâce à son grand-père, à s’initier à l’art de la calligraphie. A quinze ans, il passe avec succès l’examen d’entrée à l’École des beaux-arts de Hangzhou, où il suivra durant des années l’enseignement de professeurs chinois, mais aussi occidentaux. Au terme de ses études, il y devient professeur. Déjà, pendant toute cette période, ses productions picturales, même si elles restent académiques, montrent l’influence de Cézanne et de Matisse, réalisées à partir de cartes postales qu’on lui envoie de France. Les deux tendances de son art sont déjà là, issues à la fois d’Asie et d’Occident.

Sans titre, vers 1952

Huile sur toile, 37 x 43 cm

Musée d’art moderne de Paris, donation Françoise Marquet-Zao
© Adagp, Paris 2023 – Photo Naomi Wenger

Une première exposition à Paris

Il a vingt-six ans lorsque l’attaché culturel de l’ambassade de France en Chine, qu’il a rencontré dans sa jeunesse, l’encourage vivement à venir à Paris. C’est ce diplomate qui sera le premier à faire connaître Zao Wou-Ki en France en montrant une vingtaine de ses œuvres dans le cadre d’une exposition parisienne consacrée aux peintures chinoises contemporaines. Parallèlement, le peintre expose aussi à Shanghai mais décide finalement de rejoindre Paris pour y poursuivre sa formation artistique et pour s’immerger dans le milieu artistique dont il rêve.

 

Il s’installe à Montparnasse en 1948 dans un atelier d’artiste, quartier célèbre dans ces années-là pour les créateurs de tout type qui y vivent. Mais d’abord Zao Wou-Ki tient à apprendre le français, ce qu’il fait à l’Alliance française. Il suit aussi des cours à l’Académie de la Grande-Chaumière qui reste comme l’une des premières écoles d’art en France. Selon ses biographes, Zao Wou-Ki dira plus tard que c’est à Paris qu’il a « découvert sa véritable personnalité », en fréquentant notamment de grands peintres comme le français Pierre Soulages ou l’allemand Hans Hartung. Des rencontres qui préfigurent de grands changements…

Du figuratif à l’abstraction

Dans les années 1950, Zao Wou-Ki commence à se faire une place dans le milieu artistique : de nombreuses expositions de ses peintures et de ses gravures sont montées, en France dans des galeries parisiennes, mais aussi aux Etats-Unis. Et c’est dans ces années-là que la forme de son art change, du figuratif, il passe à l’abstraction. Il le dit lui-même : « Ma peinture devient illisible. Natures mortes et fleurs n'existent plus. Je tends vers une écriture imaginaire, indéchiffrable ». Il devient ainsi l'un des meilleurs représentants de « l'abstraction lyrique », courant artistique européen non figuratif de l'après-guerre. Un courant qui se définit par « l'expression gestuelle libre ».

Sa palette, au sens propre du terme, devient alors immense et son génie s’exprime sous toutes les formes, sur tous les supports. Non seulement il produit de nombreuses peintures à l’huile et des aquarelles, mais aussi des encres de Chine, des lithographies originales et des illustrations dans des livres d’artistes, des estampes, des céramiques et même, plus tard, des vitraux !

Un monde dont la France serait le centre

Très vite sa renommée devient internationale et l’artiste voyage, aux Etats-Unis notamment, où il trouve que « la peinture est plus instinctive, plus spontanée que la peinture européenne ». Après de nombreuses expositions partout dans le monde, à New York, au Japon, mais aussi au Canada où il participe au Pavillon français lors de l’Exposition internationale de Montréal, Zao Wou-Ki achète en 1959 à Paris un ancien entrepôt qu’il transforme en atelier. C’est là qu’il commence à peindre de grands formats qui feront (encore plus) sa renommée. En 1964, grâce au ministre français de la culture, l’écrivain André Malraux, Zao Wou-Ki acquiert la nationalité française.

 

Les titres de ses toiles montrent d’ailleurs son attachement à la France : Hommage à Matisse, Hommage à André Malraux, Hommage à Henri Michaux et, bien sûr, le fameux Hommage à Cézanne, un diptyque qui est sans doute sa plus belle œuvre. Dans les années 70, Zao Wou-Ki poursuit néanmoins sa quête du monde, retourne pour la première fois en Chine, qu’il n’avait pas revue depuis trente ans, puis revient en France où il achète un atelier encore plus grand que le précédent, ce qui va lui permettre d’expérimenter et de réaliser des œuvres plus ambitieuses dans leurs dimensions. Peu à peu, le grand public commence à reconnaître son immense talent et, en 1981, une première rétrospective de son œuvre est présentée aux Galeries nationales du Grand Palais à Paris, la première vraie exposition que lui consacre un musée français.

Hommage à Cézanne - 06.11.2005, Diptyque

Huile sur toile, 162 x 260 cm

Collection particulière

© Adagp, Paris 2023 – Photo Dennis Bouchard

Une consécration nationale

Dans le même temps, en 198O, Zao Wou-Ki est nommé professeur de « peinture murale » à l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris, un poste qu’il ne pourra occuper que peu de temps, compte tenu de son travail personnel.

Dès 1984, Zao Wou-Ki commence à recevoir les honneurs officiels avec la Légion d’honneur remise par le ministre de la culture français.

 

Les années qui suivent sont émaillées de très nombreuses rétrospectives, un peu partout dans le monde et même, en 1998, à Shanghai, grâce à l’action culturelle de la France. En 2002, ultime étape de cette consécration, Zao Wou-Ki est élu à l’Académie française des beaux-arts, tandis que la Galerie nationale du Jeu de Paume organise la première grande rétrospective française de l’artiste, regroupant une centaine d’œuvres venues du monde entier, qui seront vues par plus de 180 000 visiteurs. Une de ses oeuvres, le triptyque Hommage à Claude Monet est présenté au sein du pavillon France à l’Exposition universelle de Shanghai en même temps qu’une sélection des chefs-d’œuvre impressionnistes du musée d’Orsay pour bien montrer ce lien entre deux mondes que constitue l’œuvre entière de l’artiste. Presque 65 ans après son arrivée à Paris et ses premiers pas à Montparnasse, Zao Wou-Ki, le « maître de l’abstraction » s’éteint en Suisse en 2013.

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