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Emily Monaco, entremetteuse de cultures

Un pont sur l’Atlantique

 

Établie à Paris depuis dix ans, la journaliste américaine Emily Monaco a fait de l’expatriation son sujet de prédilection. Ses articles sont autant de témoignages sur les différences culturelles qui existent de part et d’autre de l’océan Atlantique.

 

De Lille à Cannes, de Cannes à Paris

L’expatriation est presque toujours vécue comme un déracinement. Elle suppose un effort d’ajustement pour se créer de nouveaux rameaux culturels, mais il est parfois tentant de se raccrocher aux branches des similitudes. Cette mécanique de l’intégration est au cœur du travail de la journaliste new-yorkaise Emily Monaco. Un thème qui s’est imposé à elle au fil de ses allers-retours entre la France et les États-Unis : la jeune femme a suivi deux programmes d’échange à Lille et Poitiers de 14 à 16 ans avant d’étudier les langues et la communication au Collège international de Cannes et de poursuivre sa route vers Paris en 2007, où elle vit toujours.

« À 19 ans, lorsque je suis arrivée à l’American University of Paris, je suis devenue une sorte de médiatrice pour les étudiants qui ne parlaient pas français, se souvient-elle. Ils se tournaient vers moi pour les traductions linguistiques mais aussi culturelles. C’est à cette époque que j’ai pris l’habitude de noter dans un carnet ces nuances entre les cultures française et américaine ».

Une ethnographie de la vie parisienne

Un carnet n’aura pas suffi pour passer à la loupe cet océan de valeurs et de coutumes qui sépare la France des États-Unis. Dix ans après son arrivée dans la capitale, les premières notes d’Emily Monaco ont pris la dimension d’une véritable enquête ethnologique. Elles ont donné naissance à une série d’articles publiés dans le très sérieux « Wall Street Journal ». Le premier d’entre eux, intitulé « The Power of ‘Bonjour’ », décortique les manières de se saluer françaises et américaines. « J’ai autrefois travaillé dans un grand bureau parisien où les gens me considéraient comme associable ou mal élevée parce que je ne disais pas bonjour en arrivant, se souvient la jeune femme. Cela m’avait intrigué car, aux États-Unis, la politesse passe davantage par le sourire ou l‘intonation de la voix que par les formules ».

Pour Emily, la méconnaissance de ces usages est à l’origine de nombreux malentendus, tant du côté des Français que des étrangers. « Un Américain qui s’assoit à la table d’un bistrot va demander un café sans forcément y introduire l’indispensable trio "bonjour, s’il vous plaît, merci". Le serveur va alors s’offenser et devenir désagréable tandis que l’Américain en conclura que les serveurs français sont râleurs ! », s’amuse la journaliste.

Un patrimoine immatériel à partager

Mais il existe des domaines où le quiproquo culturel est exclu : la gastronomie en est un. « Tout étranger, qu’il soit expatrié ou simple touriste, en a déjà fait l’expérience, la cuisine est souvent la façon la plus simple de faire le lien entre deux cultures, note Emily Monaco. En France, elle joue un rôle très important dans la société. Certaines notions n’existent pas aux États-Unis, comme celles de "terroir" ou "d’art de la table" par exemple ».

Emily a fait de la gastronomie son sujet privilégié pour parler de la France à ses compatriotes. Sur son blog, « Tomato Kumato », elle mêle recettes et réflexions sur la vie d’expatrié. Elle y partage également ses découvertes culinaires : un produit, un chef, une épicerie…

Ses connaissances lui permettent aussi de faire le mouvement inverse : pointer le caractère parfois snob de la gastronomie française et ses contradictions. Dans un papier récemment publié sur le site « Vice », Emily confronte le cliché de la malbouffe américaine aux nouvelles tendances parisiennes. Burgers gourmets, bagels branchés, cakes sur-décorés… ces nouveautés venues d’Outre-Atlantique remportent un vif succès auprès de ceux-là même qui, dix ans plus tôt, répudiaient la gastronomie américaine.

La jeune femme parie néanmoins sur ces échanges culinaires. « Un nouveau mouvement venu de New York séduit la jeune génération parisienne. C’est une cuisine moins sophistiquée que la gastronomie française, mais elle est très soucieuse de la qualité des produits et du caractère sain des plats. Les chefs français pourraient vraiment la perfectionner s’ils se l’appropriaient ».

Trouver son équilibre entre l’ici et l’ailleurs

À l’heure où les populations sont de plus en plus amenées à circuler, les réflexions d’Emily sur l’expatriation sont plus que jamais d’actualité. Le déracinement et l’enracinement sont des expériences enrichissantes, mais elles ne se font pas sans douleur. Pour la journaliste américaine, l’écriture est devenue une catharsis et ses compatriotes lui offrent un point d’équilibre.

« Quand je suis arrivée en France, j’ai voulu couper contact avec ma culture pour mieux me fondre dans la société, se souvient-elle. Mais j’ai vite compris que j’avais plus à y gagner à cultiver mon identité qu’à l’occulter. Aujourd’hui, je trouve mon équilibre en fréquentant de temps en temps d’autres expatriés américains avec qui je peux échanger sur cette expérience et retrouver mes racines ».

 

Photo © Samuel Cortès/Animal pensant