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Missak Manouchian, les Grands Hommes vivent pour l'éternité

Missak Manouchian : les Grands Hommes, en France, vivent pour l’éternité

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ». C’est le titre d’un poème de Louis Aragon et c’est aussi la question posée par le Président de la République française, de façon lancinante, tout au long de son discours de réception au Panthéon de Missak Manouchian, de son épouse Mélinée et de ses camarades de résistance, le mercredi 21 février 2024. Avec Missak Manouchian et les siens, ce sont tous les étrangers résistants en France qui sont entrés au Panthéon.

Quatre-vingt ans après sa mort, jour pour jour, le Panthéon, monument national dédié aux « grands hommes qui ont mérité la reconnaissance nationale », accueille une personnalité hors du commun, « celle d’un destin de liberté » selon les mots du Président. C’est ainsi la troisième fois, après la chanteuse et résistante américaine Joséphine Baker en 2021 et la physicienne et chimiste polonaise Marie Skłodowska-Curie en 1995, qu’entre au Panthéon une figure qui n’est pas née française mais qui a « fait le choix de la France, de combattre pour défendre ses valeurs universalistes et républicaines, au péril et au prix de sa vie ».

Un destin vers la France

Missak Manouchian ou Michel Manouchian, comme il aimait signer, est né le 1er septembre 1906 à Adıyaman, dans ce qui s’appelait alors l’Empire ottoman, et mort fusillé le 21 février 1944 à la forteresse du Mont-Valérien en France. C’est un ouvrier, un poète et un militant communiste arménien immigré en France et mort en France pour la liberté. Voilà en quelques mots, terribles, le destin de celui que la France honore. « Mais est-ce ainsi que les hommes vivent ? ».

Survivant du génocide arménien de 1915, sa famille brisée, anéantie, Missak trouve refuge auprès d’une famille kurde avec l’un de ses frères ainés. A la fin de la Première guerre mondiale, ils se retrouvent tous les deux au Liban, alors protectorat français. Dans l’orphelinat qui les accueille, ils reçoivent un enseignement primaire ainsi qu'une formation professionnelle, la menuiserie. Mais c’est aussi au Liban que Missak découvre la langue et l’histoire française, la Révolution française en particulier, les idéaux qu’elle porte et  les philosophes des Lumières. Avec son frère, Missak se met alors à rêver de la France comme une terre promise. Et c’est à ce moment-là qu’il compose, sans doute en 1924, un poème intitulé Vers la France, dans lequel il écrit :

 

« Les voiles de la nuit partout éparpillée sont tombés en silence

Du corps découvert de la Méditerranée gorgée de soleil ;

(…) Laissant derrière moi mon enfance ensoleillée nourrie de nature,

Et ma noire existence d'orphelin tissée de privations et de misères,

Encore adolescent ivre du rêve des livres et des écrits,

Je m'en vais mûrir par le travail de la conscience et de la vie (…). »

De l’usine à la Sorbonne

En septembre 1924, Missak Manouchian est en France, il débarque à Marseille, avec un contrat d’embauche et un passeport d’apatride. Il y rejoint son frère et travaillent tous les deux à La Seyne-sur-Mer dans les chantiers navals. En 1925, sans doute par manque de travail, ils décident d’aller à Paris. Comme le rapporte Mélinée, sa compagne, dans ses souvenirs : « Paris, ce nom évoquait en lui tout un univers de choses possibles, d'espérances vécues, de rêves réalisables ».

D’emplois précaires en petit boulots, d’usines de munitions jusqu’aux usines des automobiles Citroën, Missak, travailleur immigré, s’intègre peu à peu à la vie française, y compris dans les milieux artistiques et culturels, grâce à sa plastique ! Il pose en effet pour des sculpteurs et des peintres, ce qui l’amène à s’intéresser de plus en plus à l’art et à la littérature française. Il fréquente la bibliothèque Sainte-Geneviève, y découvre les grands poètes français, et suit quelques cours, en auditeur libre, à l’Université de la Sorbonne. Il y apprend la littérature, mais aussi la philosophie ou l’économie et l’histoire, tout en continuant à écrire des poèmes et en se lançant dans la rédaction d’articles sur la politique et la littérature pour des revues franco-arméniennes.

L’engagement politique auprès des communistes

Après la mort de son frère, d’une tuberculose mal soignée, Missak s’engage de plus en plus à partir de 1930 en politique et dans la lutte sociale. On sait qu’il fréquente depuis 1931 les militants communistes de la région parisienne et, en 1934, il adhère au Parti communiste français. Entre temps, en 1933, Missak Manouchian fait une première demande de naturalisation française qui est rejetée. Il devient rédacteur en chef du journal Zangou, du nom d'une rivière qui traverse Erevan en Arménie, une revue qui soutient le projet d’une « Arménie soviétique ». En mai 1936, le journal pour lequel il travaille s’engage pour défendre la jeune République espagnole et Missak s’inscrit au Comité d'aide aux Républicains espagnols. Cet engagement militant, de plus en plus politique et résolument tourné du côté des communistes, ne l’empêche pas d’avoir trouvé l’amour ! Il épouse cette année-là Mélinée Assadourian, rescapée du génocide des Arméniens comme lui, qui deviendra à son tour militante et qui sera, surtout, le grand amour de sa vie, celle à qui il laissera une admirable dernière lettre.

L’entrée dans la clandestinité

En septembre 1939, au moment où éclate la Seconde guerre mondiale, Missak est emprisonné du fait de ses opinions politiques. Sorti de prison en octobre, il s’engage volontairement pour combattre aux côtés des Français et adresse en vain une nouvelle demande de naturalisation au ministère de la justice en janvier 1940. A partir de là, son engagement devient plus fort encore. C’est ici qu’il entre dans le militantisme clandestin pour chasser l’occupant nazi de France. En 1943, Missak Manouchian rejoint les groupes armés du FTP-MOI, groupe des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée de Paris. Il participe alors à de premières actions en armes et devient responsable des Francs-tireurs et partisans pour l'ensemble de la région parisienne : une trentaine d’opérations contre l’occupant sont organisées par le groupe de Manouchian dans Paris, d'août à novembre 1943. « Est-ce ainsi que les hommes rêvent ? Oui, les armes à la main », selon les mots d’Emmanuel Macron.

Une icône de la résistance et du martyre

Mais Missak Manouchian et son réseau sont, depuis quelques mois déjà, filés par la police de la collaboration. Il est arrêté le 16 novembre 1943, avant et après vingt-trois de ses camarades. Il est pour sa part emprisonné à la prison de Fresnes, tandis que son épouse Mélinée a la chance d’échapper à la police. Le tribunal militaire allemand du Grand-Paris, qui le juge lui et ses camarades, au cours de ce que les historiens appellent une « parodie de procès », les condamne tous à la peine de mort. Avant cela, il est torturé et c’est cette photo de lui, le visage marqué de coups, que l’on verra sur la fameuse Affiche rouge. Des photos des prévenus sont en effet choisies pour cette affiche qui constitue l’élément central d'une grande campagne de propagande pour dénoncer le « terrorisme », en amalgamant à la fois l’antisémite, l’antibolchevisme et la « haine de l’étranger ». Cette affiche, placardée sur tous les murs de Paris par les nazis, cette affiche où l’on voit la photo du visage martyrisé de Missak avec celles des autres condamnés, suscite un effet inverse. Elle transforme Missak Manouchian en héros, en icône, en emblème de la résistance et du martyre.

L’amour de la France jusqu’au don de sa vie

Le 21 février 1944, Missak et ses camarades sont fusillés au Mont-Valérien, en refusant, dit-on, d'avoir les yeux bandés. Dans la si émouvante dernière lettre qu’il laisse à son épouse, écrite quelques heures avant son exécution, Missak écrit : « Aujourd’hui, il y a du soleil », mais aussi : « Je meurs en soldat régulier de l’armée française de libération ».

« Est-ce ainsi que les hommes meurent ? », se demande le Président de la République à la fin de son vibrant hommage à Missak Manouchian, avant de constater : « Ce 21 février 1944, ceux-là affrontent la mort. Dans la clairière du Mont Valérien, Missak Manouchian a le cœur qui se fend. Le lendemain, c’est l’anniversaire de son mariage avec Mélinée. Ils n’auront pas d’enfants mais elle aura la vie devant elle. Il vient de tracer ses mots d’amour sur le papier, amour d’une femme jusqu’au don de l’avenir, amour de la France jusqu’au don de sa vie, amour des peuples jusqu’au don du pardon ».

Et de conclure : « C’est ainsi que les hommes survivent. C’est ainsi que les Grands Hommes, en France, vivent pour l’éternité ».

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